Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/34

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Et ce fut de cette façon qu’ils élaborèrent le jugement condamnant ce pauvre vieux rusé.

Sans doute sa viande n’était peut-être pas d’une tendresse extrême, mais, en faisant mariner, les « noceux » se pourlécheraient les babines.

Ragneux se montra satisfait et paya cent francs la bête.

Ce fut un triomphe pour Giraud.

Et, le soir venu, la petite bossue dans la maison au toit de chaume, sise sur les genoux du colosse normand, l’embrassait tout en murmurant :

— T’es tout de même un rude gâs, Giraud.

Ce compliment le rendit plus joyeux que le plus heureux des heureux de la terre.

Car toutes ses facultés s’appliquaient à contenter son Estelle, sa chère Estelle.

Lorsque hissée sur la pointe, dressée à cet exercice, du pied de sa bonne jambe, elle le saisissait par la ceinture et lui disait :

— Je suis contente de toi, Giraud,

l’homme pris d’une fierté intraduisible haussait par un mouvement d’orgueil encore sa belle taille. La bossue, sa tête sur le ventre du braconnier, devenait presque imperceptible.

Alors elle le plaisantait, se moquant de sa stature :

— Dis donc, Giraud, faudrait pas faire ta grande perche. Si tu savais comme t’es long. T’en finis pas ; t’es comme le peuplier du bord de l’iau à côté du lavoir. Baisse-toi un peu que j’te voyons.

Et il se baissait docilement, honteux de sa taille et de sa force. Il était pour ainsi dire persuadé que c’était lui l’infirme et elle la valide.

Du reste tout le monde, depuis sa naissance, s’était plu à critiquer ses proportions de géant moderne.

Jadis cela n’eût point paru extraordinaire. Sous la première révolution et l’empire premier, les hommes de six pieds n’étaient point encore trop rares. À l’origine des races, ils étaient communs.

Cela s’explique très naturellement. Lorsque l’homme n’avait encore fondé aucune civilisation, les faibles, les chétifs