Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/44

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cependant, les poètes jouissent d’une certaine considération ; on écoute volontiers quelques-uns de leurs rêves, à condition qu’ils ne soient pas d’une essence très éthérée, tout en constatant, comme à Paris du reste, que ça ne rapporte guère.

D’ailleurs en ce monde que l’intérêt, on dit la raison par euphémisme, seul guide, il faut être poète comme les cuirassiers de Reischoffen furent soldats. Le monde des affaires a tué celui de la pensée et l’instruction répandue partout nous ramène directement à la barbarie, dont quelques sectaires, avides de réclame et d’originalité, se sont sacrés les apôtres.

Et la bossue, qui avait passé par l’école où elle avait appris passablement à lire et écrire et surtout à compter, comme tant d’autres, n’avait aucunement l’esprit préparé aux conceptions idéales.

Elle avait cependant deux facultés très développées : — la haine de ses semblables, dont elle différait par la bosse, et l’amour de l’argent.

Aussi les maisons pouvaient gracieusement s’étager au pied de la colline et dans la vallée, le vieux clocher de l’église, œuvre d’un artiste inconnu des âges présents, pouvait soulever fièrement son coq gaulois jusqu’au sommet de la colline portant les fondations d’un vieux château rasé, tandis que les arceaux et les murs crevés de l’abbaye s’incendiaient dans les feux d’un soleil couchant, la Giraud n’arrêterait ni ses jambes, ni sa béquille pour les admirer.

Et, si elle aimait la forêt, ce n’était point pour ses sites mais bien parce qu’elle fournissait au ménage presque tous ses moyens d’existence.

C’est ainsi que se fondent les bonnes maisons qui seraient nombreuses si la fatalité ne forçait parfois la justice à s’interposer entre le volé et le voleur.

Une querelle entre complices dont l’un a pris une trop grande part du gâteau, une prospérité impudente dont l’orgueil des autres souffre, un accident dont le hasard est seul cause, et voilà une de ces bonnes maisons irrémédiablement perdue.

Mais cela, c’est la balance éternelle établie entre les humains par une de ces lois naturelles indestructibles contre