Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/68

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produit de son travail. Mais cette besogne exclusive ne lui donnait pas une satisfaction analogue à celle qu’il éprouvait sous les couverts de la forêt, quand il guettait une victime, l’œil en éveil, le doigt sur la gâchette de son fusil.

Beauvoisin le savait et tolérait ses fugues de plusieurs mois à cause de ces réelles aptitudes et de sa force qui lui permettait de mener à bien les ouvrages les plus pénibles.

— Tout de même, gâs, lui disait-il, tu ferais bien mieux de vivre tranquille à la maison que de courir les bois. Enfin paraît que c’est dans le sang.

Il marronnait, Beauvoisin, mais le reprenait néanmoins dans les moments où le travail pressait. Giraud savait cela et, dans les instants difficiles, il demandait sa réintégration.

Cette fois, c’était le fermier lui-même qui avait sollicité ses services quand il sentait, après l’aventure qu’il avait cherchée à la chasse à courre, le besoin absolu de disparaître pendant quelque temps.

Aussi attelait-il avec entrain les deux bêtes un peu récalcitrantes. Cette opération terminée il fit claquer son fouet, puis commanda :

— Hue, les enfants !

Et la lourde voiture s’ébranla avec un roulement sourd auquel se joignaient les craquements secs des cailloux mêlés à l’herbe du chemin qui coupait en deux parties égales la cour où les pommiers prospéraient.

L’attelage et son conducteur atteignaient bientôt la grande route du Neubourg qui, toute droite, s’en va à travers les plaines du plateau entre deux rangées de producteurs de cidre.

Les mercredis, jours de marché, cette voie ordinairement déserte est parcourue par de nombreux véhicules. Les piétons envahissent les bas-côtés.

Les tilburys des gros fermiers croisent les carrioles des cultivateurs de moindre importance, les lourdes charrettes des meuniers que traînent le plus souvent six robustes chevaux de race percheronne.

Les jours de foire, l’affluence est encore plus considérable. Les chevaux, les moutons, les vaches encombrent la route. Les veaux et les cochons entassés dans les carrioles,