Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/79

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qu’il avait fondée avec deux des principaux admirateurs de l’illustre homme d’Etat, Mourruot l’épicier, un petit normand ventru, et Baratour le pharmacien, gascon de la Gascogne très gasconnant, vénérable conseiller d’arrondissement, haut coté dans la société avancée du Neubourg.

Ces trois personnages, discoureurs extraordinaires, apôtres superbes de la religion nouvelle, l’Athéisme, rêvaient continuellement l’esprit tendu vers un but unique : — l’écrasement des bondieusards dont ils apercevaient « l’immense conséquence » consistant dans « l’émancipation intégrale de l’esprit humain ».

Il fallait entendre Trouillard, le pur, l’incorruptible, comme disaient les conservateurs, s’écrier au cercle de la démocratie établi au-dessus du café de l’Avenir :

— Messieurs, vous apercevez, n’est-ce pas, l’immense conséquence.

Et il répétait :

— Vous saisissez bien, messieurs, l’immense…

Cet adjectif avait dans sa bouche des effets tonitruants.

Alors Baratou ajoutait :

— Vous comprenez, messieurs, qu’il s’agit, coquin de sort ! de l’émancipation intégrale de l’esprit humain.

Aussitôt, Mourruot appuyait :

— Intégrale, parfaitement, intégrale.

Ces messieurs organisaient assez souvent des conférences au cours desquelles on parlait toujours de l’illustre homme d’Etat. La péroraison était invariable. Bien que connue de tous depuis des années, elle était cependant attendue avec anxiété.

— Aussi, messieurs, concluait l’orateur, l’illustre homme d’Etat a-t-il dit en des circonstances inoubliables :

— Le cléricalisme, voilà l’ennemi !

Et les applaudissements pleuvaient dru, comme la grêle trop souvent sur la vigne.

Le conférencier le plus apprécié était sans conteste Courtamblaize, le « distingué directeur » du Réveil démocratique du Neubourg. Des périodes superbes s’agitaient pendant des heures sur sa langue infatigable.

Les clichés sonores, les gestes nobles, les imprécations