Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/86

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répondrais : « De quoi vous mêlez-vous ? Allez réciter vos messes et ne vous occupez pas de mon travail. »

Si vous me contiez que je ne dois pas parler au curé, je vous répliquerais que ce n’est pas votre affaire et que je suis libre comme l’air qui passe sur mes champs, plus libre que vos libres-penseurs.

Et Trouillard baissait l’oreille tout en grognant :

— C’est bon, c’est bon, puisque vous êtes incorruptible.

Lorsque Beauvoisin entra dans la boutique de l’horloger vers la fin du marché, ayant à sa suite femme et fille, l’honnête commerçant offrit avec empressement des sièges ; il connaissait en effet le prochain mariage et par conséquent le but de cette visite.

Mais le cultivateur ne haïssait pas la plaisanterie et ne manqua pas de dire :

— Hein, vous croyez que je vous amène les femmes pour votre Libre-Pensée ?

— Je ne crois rien ; toutefois, si ces dames voulaient… Aussitôt elles se récrièrent.

— Pour sûr que non, vous avez bien assez de la bossue.

— Alors, insinua Trouillard, vous désirez voir quelques parures, alliances, bracelets, boucles d’oreilles, enfin ce que vous voudrez. Nous sommes à même de vous contenter.

Et il étala ce qu’il appelait fastueusement ses trésors.

Le tout assurément aurait plu à la demoiselle et à sa mère. Mais il fallait choisir et l’embarras fut grand.

— Tout de même. Jeannette, finit par dire Beauvoisin, tu ne peux pas dévaliser totalement la boutique de l’ami Trouillard. Il t’appellerait accapareuse ; et puis la bourse n’est pas assez garnie pour cela. Quand le blé poussera tout seul, on verra.

— Oh ! je vous ferai crédit très volontiers, déclara l’horloger.

— Je parie que vous n’en feriez pas autant, malgré vos idées, à Malicot qui, n’ayant plus de jambes, marche sur son derrière en implorant la pitié de ceux qui sont complets ?

Trouillard se contenta de hausser les épaules et continua