Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L’ART D’AIMER


CHANT PREMIER


 J’ai vu Coigny, Bellone, et la victoire ;
Ma foible voix n’a pu chanter la gloire :
J’ai vu la cour ; j’ai passé mon printemps
Muet aux pieds des idoles du temps :
J’ai vu Bacchus, sans chanter son délire :
Du dieu d’Issé j’ai dédaigné l’empire :
J’ai vu Plutus ; j’ai méprisé sa cour :
J’ai vu Daphné ; je vais chanter l’amour.

Toi seul, ô toi, jeune objet que j’adore,
De tous les dieux sois le seul que j’implore ;
Que l’art d’aimer se lise en traits vainqueurs,
En traits de feu, tel qu’il est dans nos cœurs.
L’amour m’inspire, il m’apprend comme on aime ;
De ses plaisirs instruisons l’amour même.
À tes genoux, dans tes bras, sous tes yeux,
J’en donnerois des leçons, même aux dieux.
Aux vrais amours ma lyre consacrée
Ne chante point et Lampsaque et Caprée,
Ni de Chrysis les lascives fureurs,
Ni de Flora les nocturnes horreurs.
Qu’ici l’amour, épurant son système,
Nu, mais décent, plaise à la pudeur même ;
Que Vénus donne à Vesta des désirs :
Je veux des mœurs compagnes des plaisirs.
Qu’à d’autres chants soit aussi réservée
De Sybaris la mollesse énervée,
Des amadis les respects insensés,
Et du Lignon les bords toujours glacés.
Dans mes portraits, Albane plus fidèle,
Peignons l’amour comme on peint une belle ;
D’un jour aimable éclairons son tableau,
Vrai, mais flatté, tel qu’il est, mais en beau.
J’appelle amour cette atteinte profonde,
L’entier oubli de soi-même et du monde,
Ce sentiment soumis, tendre, ingénu,
Prompt, mais durable, ardent, mais soutenu,
Qu’émeut la crainte, et que l’espoir enflamme ;
Ce trait de feu qui des yeux passe à l’ame,
De l’ame aux sens ; qui, fécond en désirs,
Dure et s’augmente au comble des plaisirs ;
Qui, plus heureux, n’en est que plus avide :
Voilà le dieu de Tibulle et d’Ovide,
Voilà le mien. Heureux cent fois le cœur
Qui tient du ciel cet ascendant vainqueur !
Quand ce rayon, cette vive étincelle
Perce au travers du sein qui la recèle,
Voici les lois qu’un amant peut ouïr :
Choisir l’objet, l’enflammer, en jouir.
Beautés, amants, voilà notre carrière.
Déjà mon char a franchi la barrière ;
Daphné me voit ; et l’amour qui m’entend
Met dans ses mains le myrte qui m’attend.
Jadis un sage, armé d’un trait de flamme,
Analysa les voluptés de l’ame :
Platon... mais quoi ! D’un froid mortel atteint,
L’amour a fui, son flambeau s’est éteint.
Cesse, a-t-il dit, ou choisis mieux ton guide ;
À ses leçons vois l’ennui qui préside.
Oses-tu bien à Cythère, à ma cour,
Donner pour loi son chimérique amour ?
Ne veux-tu pas, martyr de la constance,
Prêcher des cœurs l’éternelle alliance ?
Mais devant qui, zélateur indiscret,
De tes langueurs vas-tu chanter l’attrait ?
Un joug pénible est-il donc le partage
D’un peuple ardent, indocile, volage,
Fidèle à Mars, mais perfide aux amours,
Fait pour jouir, plaire, et changer toujours ?

Vois par ses goûts quel doit être son maître ;
Et, pour l’instruire, apprends à le connoître.