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Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/281

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Dieu de mon cœur, tes abus font mes lois ;
Je n’irai point, en préceptes gaulois,
Changer les mœurs de tes chers infidèles,
Vieillir ton âge, attenter sur tes ailes ;
Tout m’est sacré dans le dieu que je sers ;
De tes captifs j’adoucirai les fers,
Mais sans prescrire une loi qui t’étonne.
Ta gloire, amour, ton intérêt ordonne
Que la constance, éprouvant nos désirs,
Verse à longs traits la coupe des plaisirs.
Toi dont le cœur est né pour la tendresse,
Conçois tout l’art du choix d’une maîtresse ;
Il veut des soins ingénieux, constants.
Cherche, étudie et les lieux et les temps.
Compare, oppose, et vois d’un œil austère
L’âge, les goûts, l’ame, et le caractère.
À tes regards mille objets sont offerts ;
Choisis. Mais, dieux ! Se choisit-on des fers ?
A-t-on le temps de chercher et d’élire ?
Raisonne-t-on ? L’amour est un délire.
L’oiseau qu’en l’air un chasseur a blessé
A-t-il pu voir le trait qu’on a lancé ?
Les traits d’amour sont encor plus rapides ;
Son bras caché frappe ses coups perfides ;
Il rit d’un cœur vainement étonné,
Le matin libre, et le soir enchaîné.
Le ravisseur qui mit Pergame en poudre
De cet amour sentit le coup de foudre :

Didon brûla d’aussi rapides feux.
Ceux dont le ciel maîtrise ainsi les vœux
N’ont, pour aimer, aucune étude à faire ;
Mais, par mes lois, je leur enseigne à plaire.
Vous que l’amour brûle plus lentement,
Apprenez l’art de choisir en aimant.
Tel que zéphyre, au moment qu’il s’éveille,
Marque les fleurs que doit sucer l’abeille,
Moi, je parcours les jardins de Cypris,
Et des beautés je marque ainsi le prix.
En remontant aux sources du bel âge,
Vois l’innocence, adore son langage,
Les pleurs naïfs, le sourire enfantin,
L’air ingénu, le regard incertain.
Quand les beautés, crédules et craintives,
Tiennent encor leurs caresses captives ;
Quand la nature, épiant tous ses sens,
Baisse les yeux sur ses trésors naissants,
Rougit de plaire en cherchant à séduire,
Et veut ensemble ignorer et s’instruire :
Voilà quinze ans. L’aube aimable du jour,
C’est une belle, enfant comme l’amour,
Qui n’a d’attraits que sa fraîcheur nouvelle,
Et sa pudeur, des graces la plus belle.
L’âge qui suit, développant ses traits,
Offre à l’amour de plus piquants attraits.
Au doux éclat qu’a produit cette aurore
Succède un jour plus radieux encore ;
Et tous les fruits qu’un amant peut cueillir
Ont achevé de naître et d’embellir.

L’essor est pris, l’ame a senti ses ailes ;
Tous ses besoins sont des fêtes nouvelles ;
Le cœur instruit démêle ses désirs ;
C’est à vingt ans qu’on a tous les plaisirs.
De trente hivers le temps marque les traces ;
La beauté perd ce qu’on ajoute aux graces ;
On n’est plus jeune, on est belle pourtant ;
On met plus d’art aux pièges que l’on tend :
C’est le tissu des intrigues secrètes,
L’art des atours, l’arsenal des toilettes :
Le soin de plaire, et la soif de jouir,
Redouble encor, loin de s’évanouir.
Par l’âge accrus, les sens ont plus d’empire
C’étoit l’amour, c’est alors son délire ;
Ardent, avide, impétueux, hardi,
C’est un soleil brûlant en son midi.
Moins jeune encor la beauté nous engage.
L’art du maintien, les graces du langage,
Les dons acquis, les charmes empruntés,
Donnent un lustre au couchant des beautés.

L’amour, fidèle à leurs flammes constantes,
Se glisse encor sous les rides naissantes,
Et, pour régner jusqu’aux derniers instants,
Sème de fleurs les ruines du temps.
La jeune rose, en se pressant d’éclore,
Fait au matin le charme de l’aurore ;
Clytie, au soir, dans son riche appareil,
Fait l’ornement du coucher du soleil.
Tout plaît un jour, tout âge a ses délices :
Ces dons divers sont faits pour nos caprices ;
Par eux l’amour, variant ses attraits,
Forme un carquois d’inépuisables traits.
Il est des yeux dont la langueur touchante
Pénètre un cœur, l’amollit et l’enchante :
D’autres plus vifs l’enflamment à leur tour ;
Ce sont les traits, les foudres de l’amour.
L’une a du port l’élégante noblesse,
L’autre une taille où languit la mollesse ;
Plus d’embonpoint embellit celle-ci ;
Là sont les lis ; les roses sont ici.
Chaque beauté fait un lot à chacune :
Laure étoit blonde, et Corinne étoit brune.
Quand l’œil a vu, quand ce trait est lancé,