Page:Poitevin - Petits poëtes français, t. 1, 1880.djvu/287

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La nuit amène et l’audace et l’espoir.
Du négligé la piquante parure
Ne laissera qu’un voile à la nature :
Le soin de l’art est d’en affecter moins.
Tu peux tout voir, sans jaloux, sans témoins.
Un feint désordre, un hasard fait paroître
Un bras tout nud, un sein qui voudroit l’être :
C’est un genou balancé mollement ;
C’est la langueur d’un tendre mouvement,
Et ce coup-d’œil d’une amante échauffée
Si loin encor des pavots de Morphée.
Ton heure sonne : attaque en leur séjour
Ces deux captifs que te livre l’amour ;
Surprends, désarme une pudeur rebelle.
Qui risque tout obtient tout d’une belle :
Elle s’épuise en combats superflus,
Et le combat n’est qu’un plaisir de plus.
Modère ailleurs cette ardeur pétulante ;
Telle autre exige une attaque plus lente.
Du romanesque entêté follement,
Le cœur en fait son premier aliment.
Un jeune objet, le plus vif, le plus tendre,
Compte toujours brûler et se défendre,
Céder à l’ame, et résister aux sens :
Feins d’adopter ses projets innocents ;
Pur céladon, adore sa chimère ;
Traite d’horreur une attache vulgaire,
D’ignobles feux, de terrestres plaisirs :
Laisse agir seul l’aiguillon des désirs ;
Par eux bientôt sa flamme démontrée
Te répondra des sens de ton astrée.
Le vrai triomphe ; et telle, en déclamant
Contre l’amour, tombe aux bras de l’amant.
Mais tout à coup quelle foule attentive
Prête à mes chants une oreille captive ?
Que de beautés, disciples de l’amour,
Ont émaillé les gazons d’alentour !
Pour leur dicter des leçons immortelles,
L’amour m’élève un trône au milieu d’elles.
Dieux ! Sans brûler peut-on voir tant d’appas ?
Mais qui te voit, Daphné, ne les craint pas.
Vous qui sortez de l’âge le plus tendre,
Beautés sans art, gardez-vous bien d’en prendre :
Tout plaît en vous sans art et sans apprêt ;
Un défaut même est souvent un attrait.
Sur la beauté vous l’emportez encore,
Divines sœurs, ô graces que j’adore !
La beauté frappe ; et vous attendrissez :
On l’aime un jour ; jamais vous ne lassez.
Lorsque Coelus, père de Cythérée,
La vit sortir de sa conque azurée,
À la beauté tout le ciel applaudit ;
Pluton parut, Jupiter descendit ;
Thétys, Nérée, et le peuple de l’onde,
Tout reconnut la maîtresse du monde.
Sur le rivage, accourus pour la voir,
Les dieux des bois célébroient son pouvoir ;
Et des ruisseaux les tendres souveraines
Mêloient leurs voix aux concerts des sirènes.
À tant d’appas un seul manquoit encor :
Du haut des cieux Mercure prit l’essor,
Fendit les airs, et guida sur ses traces
Trois déités qu’on appela les graces.
Elles tenoient la ceinture en leurs mains,
Ce don des dieux, ce charme des humains.
Vénus s’arma du sceau de sa puissance ;
Vénus sourit, et l’amour prit naissance.
Un feu soudain embrasa l’univers,
Le Styx, l’Olympe, et la terre, et les mers :
Téthys brûla pour l’océan avide ;
Triton suivit l’ardente néréide ;
Et Palémon, s’abîmant sous les eaux,
Pressa Doris sur un lit de roseaux.
Junon, donnant l’exemple à ses déesses,
Tint Jupiter pâmé dans ses caresses.
Diane même, au fond de ses forêts,
Dut à l’amour certains plaisirs secrets.
Le dieu du fleuve au lit de sa naïade,
Faune, égipan, et satyre, et dryade,
Tout éprouvant le charme de ce jour,
Par l’amour même on célébra l’amour.
Tel fut l’attrait des graces immortelles.
Vous que j’enseigne, enchantez-nous par elles ;
Associez à leur accord charmant
Les jeux badins, le folâtre enjoûment,
Le rire aimable, ami de la jeunesse ;
Né de la joie, il la produit sans cesse,
Flatte l’espoir, inspire le désir,
Et peint les traits des couleurs du plaisir.
Plus enchanteur, plus éloquent, plus tendre,
Un doux sourire en fera plus entendre.
D’un autre charme on connoît tout le prix :
Il est des pleurs plus touchants que les ris.
Par un perfide Ariane abusée
Armoit les dieux contre l’ingrat Thésée,
Et, l’œil mourant, le sein baigné de pleurs,
Sur un rocher leur contoit ses douleurs.
Un dieu paroît : les ris et la jeunesse
Font retentir mille chants d’alégresse ;
Et les amours, se jouant sur son char,
En font jaillir des ruisseaux de nectar.