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Si souvent ici-bas un instant de bonheur
Est payé par un jour d’angoisse et de douleur !
 
Poète ! tu jouis, me dit une voix sombre,
Et cependant il est des malheureux sans nombre
Qui n’ont pas un abri pour reposer ce soir,
Qui n’ont rien que leurs pleurs pour baigner leur pain noir.
Qu’est-ce donc que ce monde où toute chose avorte ?
Qu’est-ce que ce plaisir que le chagrin escorte ?
Tant de petits enfants meurent sans voir le jour !
Tant d’autres, premiers fruits d’un ineffable amour,
Anges où sont unis deux sangs, deux existences,
Après avoir goûté la coupe des souffrances
Et repoussé loin d’eux le breuvage de fiel,
Aux premières douleurs sont retournés au ciel !
Tant de vierges d’amour ont vu leur sein de neige
Se faner, se flétrir au contact sacrilège
De quelque séducteur, Lovelace éhonté
Que le monde et la loi couvrent d’impunité,
Qui va de sa victime aux rires d’une fête,
Livrer à ses pareils le nom et la défaite !
Tant de fils du génie, assis sur un grabat
Où le luth se détend, où la vigueur s’abat,
Antichambre d’horreur d’une tombe qui bée,
Ont vu, d’un ciel heureux dans la fange tombée
Leur âme s’éclipser ! Tant de peuples divers
Sous un joug oppresseur languissent dans les fers !