Page:Ponson du Terrail - Le Bal des victimes.djvu/58

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en même temps que son père et son fiancé, mais elle a été sauvée… Oh ! sauvée d’une façon horrible… et c’est pour cela qu’elle est folle !

— Il est certain, murmura Machefer, que la mort n’est rien auprès de ce qui lui est arrivé… Figure-toi, comte, qu’en prison, un des geôliers s’était pris d’amour pour elle. Plusieurs fois il lui avait offert de la sauver et elle avait refusé avec indignation. Eh bien ! le croirais-tu ? ce misérable osa venir jusqu’au pied de l’échafaud, et là, il déclara que ma sœur allait être mère. Mieux vaudrait qu’elle fût morte !

Barras frémissait et parfois détournait la tête.

Vingt personnes vinrent tour à tour le saluer, les unes gardant leur masque, les autres osant se montrer à visage découvert.

L’un avait servi dans son régiment, l’autre était un ancien ami ; un troisième, riche avant la Révolution, lui avait ouvert sa bourse, à lui cadet de Provence criblé de dettes.

Parmi ces femmes, qui toutes, pleuraient un père, une mère, un mari ou des fils, Barras en reconnut plusieurs.

Il avait rencontré les unes, jeunes filles au front pur, au rire étincelant, sur les pelouses de Trianon ; il avait connu les autres dans le monde de la ville. Une appartenait à une grande famille de Provence, parente de celle de Barras. Et tous ces gens-là, hommes et femmes, semblaient oublier que Barras était l’ancien conventionnel, le gentilhomme, un rénégat, le directeur de la République.

On le saluait tristement, on lui adressait quelques mots d’ironie sans amertume, on ne lui faisait aucun reproche sanglant, on ne l’insultait pas.