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Page:Pontmartin - Nouveaux Samedis, 19e série, 1880.djvu/250

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montrant la table couverte d’une nappe bien blanche. — Rosalie ! un couvert de plus !

Rien ne saurait vous donner une idée de l’expression d’étonnement, de reconnaissance, de confusion, d’ahurissement, qui se peignit sur les traits énergiques du galérien libéré. Il s’y mêla d’abord un reste de méfiance, comme s’il eût redouté une mystification ou se fût attendu à se réveiller brusquement d’un songe. Mais, quand il vit Rosalie approcher de la table une troisième chaise, mettre un troisième couvert, quand il vit arriver une soupière fumante, flanquée d’un plat de poisson et d’une pyramide de pommes de terre, lorsque, sur un signe de Monseigneur, je débouchai une bouteille de vin de Lamalgue, tapissée de toiles d’araignée, la surprise de Pierre devint de l’extase. Il joignit les mains et s’écria :

— Oh ! monsieur le curé ! vous êtes donc un ange du Paradis ?…

— Non, mon ami, je ne suis qu’un pauvre pécheur ; mais, si je vous réconcilie avec le Paradis et avec ses anges, ma journée ne sera pas perdue !

Pierre Maurin mourait de faim et de soif ; il mangea et but avec une avidité quasi-bestiale qu’il ne cherchait pas à dissimuler. Mais, attentif à tous les mouvements de cet étrange convive, à toutes les variations de sa pantomime et de sa figure, je fis une remarque dont je me suis souvenu plus tard. À mesure que s’assouvissaient les appétits de la bête, un mystérieux travail s’opérait