Page:Pontmartin - Nouveaux Samedis, 19e série, 1880.djvu/251

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au fond de cette âme voilée de ténèbres. Inconsciente encore, dominée par les sens, engloutie dans un océan d’opprobre, d’horreur et de souffrance, on devinait qu’elle commencerait à réfléchir au moment où le corps n’aurait plus faim. Une heure après, comme Pierre rassasié tombait de fatigue et de sommeil, Mgr Miollis lui annonça qu’il avait sa chambre et son lit tout prêts au bout du corridor. — « La chambre d’ami ! » ajouta-t-il avec son bon sourire, ayant reconnu déjà l’effet magique de ce mot sur cette intelligence noircie, dévastée et meurtrie.

Rosalie, toujours fidèle à l’obéissance passive, conduisit Pierre Maurin dans la chambre, et lui remit, non pas un chandelier d’argent, ce qui eût été absurde et ridicule, mais une de ces petites lampes garnies de leur éteignoir, que nous appelons en Provence kaleu. Ici, cher monsieur, je vous prie de croire ou plutôt vous êtes déjà persuadé que la suite de cet épisode nocturne n’a existé que dans l’imagination du poète. La charité de Mgr Miollis était immense, inépuisable, héroïque, sublime ; mais elle était, avant tout, chrétienne. Elle aurait su s’arrêter à la limite exacte où, au lieu d’être, pour le coupable, un appel au repentir, elle serait devenue une prime d’encouragement à la récidive, à l’impénitence et au crime. Elle se serait ravisée au moment où, par une exagération folle, elle aurait fait tort à la loi, au bon sens et aux vrais pauvres, en l’honneur d’une