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Page:Pontmartin - Nouveaux Samedis, 19e série, 1880.djvu/255

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peu d’ébénisterie… J’ai vingt-six ans, je suis fort, je ne boude pas le travail, et je veux… oui, je veux être honnête… Mais qui me croira ? Qui voudra de moi, avec ce passeport jaune qui me fait galérien à perpétuité ? Ce sera partout, comme hier soir, chez ces hôteliers qui m’ont refusé le gîte et n’ont pas voulu de mon argent !… Partout, oui, partout, la honte, la défiance, le mépris, une voix rude pour me dire : « Va-t-en ! » — des coups de fusil peut-être, comme à un loup affamé, comme à un chien enragé… Oh ! excusez-moi, monsieur… monseigneur ! J’oublie que j’ai été reçu comme un honnête homme par celui qui aurait eu le plus de droit de me chasser comme un scélérat !…

Tout à coup, le pâle visage de mon évêque rayonna avec un tel surcroît de douceur, d’attendrissement, de joie chrétienne, de résolution et de bonté, qu’il semblait obéir à une inspiration surnaturelle. Il tenait encore dans sa main le numéro du Moniteur où il était question du brave général Miollis, son frère. Il regarda fixement Pierre à demi agenouillé devant lui, et lui dit de cette voix comparable à un écho céleste :

— Et si, au lieu de la honte… au lieu du mépris… on vous offrait… l’honneur ?

— L’honneur ?… ah ! ce serait trop beau ! mais c’est impossible ! répliqua Pierre en tressaillant.

— Non, mon ami, non, rien n’est impossible, avec de la bonne volonté, de la bonne foi, de la résignation et