Page:Pontmartin - Nouveaux Samedis, 19e série, 1880.djvu/263

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chés de la ville, et nous entendions leurs hurlements mêlés aux bruits de la tourmente. — « Mauvais temps pour les voyageurs ! dit Mgr Miollis ; mauvais temps pour les soldats !… L’abbé ! prions pour ceux qui souffrent ! » Il s’agenouilla, je l’imitai, et Apollonie, qui entrait pour servir le souper, se mit à genoux sur la dalle. Au même instant, on frappa à la porte. Sur un geste de l’évêque, Apollonie se leva, fit le signe de la croix, et alla ouvrir.

Quelques secondes après, elle revint, précédant un jeune homme d’environ trente-trois ou trente-quatre ans, mouillé jusqu’aux os, crotté jusqu’à l’échine, balafré jusqu’aux oreilles, coiffé d’un shako en ruines, vêtu d’un vieil uniforme en lambeaux, chaussé de guêtres dont les boutons étaient remplacés par des bouts de ficelle, mais gardant, à travers ce désarroi, une physionomie franchement martiale, assombrie par un grand air de tristesse. Nous le regardâmes un moment avec une sorte d’anxiété :

— Suis-je donc tellement changé, dit-il enfin, que mon bienfaiteur, mon évêque, ne me reconnaisse pas ?…

— Pierre Maurin !… Ah ! mon pauvre ami ! voilà donc la guerre ? s’écria Monseigneur en lui prenant les mains, qu’il serra dans les siennes avec une effusion de tendresse paternelle.

— Non, Monseigneur, la paix… mais quelle paix ! L’Empereur vaincu, la France envahie…