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L’APPEL DE LA TERRE

On sait ce que l’on veut dire à la campagne d’un paysan qui est devenu un « monsieur ». Il est un être à part ; il a des manières douces, inoffensives, mielleuses, un peu les façons du parvenu, mais il n’en a pas toujours la morgue ; il ne brille pas par la fortune ; il est plutôt pauvre, plus pauvre souvent qu’un cultivateur qui n’a qu’un demi-lot à cultiver. Au milieu de ses parents et de ses amis d’enfance, le « monsieur » se distingue par une instruction et une éducation qu’eux n’ont pas et, à cause de cela, il a abdiqué leurs manières brusques et parfois grossières. Il ne fuit pas la société de ses anciens amis, mais ceux-ci l’évitent quelquefois avec obstination, le raillent au besoin. Bref ! le terme de « monsieur » n’implique pas l’injure ni le mépris ; il exprime plutôt, chez les campagnards, un sentiment de pitié.

« Tout de même, c’est un bien bon garçon que Paul », rectifia le père Duval, qui avait peur d’en avoir déjà dit trop long sur le compte de son ainé.

— Sûr que oui, approuva André, mais ne vaudrait-il pas mieux qu’il cultivât la terre comme nous ? Nous serions trois à la besogne et à trois, nous taillerions une rude concurrence aux Mercier, aux Gendron et aux Bergeron ; ceux-là ont des bras pour cultiver ; aussi, quelle besogne ! Dans quelques années, leurs lots vaudront très chers et pas un coin de leurs champs ne sera en friche ; du train dont vont les choses, ils pourront bientôt nous acheter. Et tenez, l’autre jour, comme je me rendais au « trécarré » chercher les génisses, j’ai rencontré Mercier qui m’a demandé comme