Page:Potvin - L'appel de la terre, 1919.djvu/155

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Comme tant d’autres qui avaient été bons, il allait donc, lui aussi, finir par s’avilir tout à fait et tomber au niveau de la brute, traîner de bouge en bouge, au rang des plus débraillés…

Ah ! vous qui vivez de la vie régulière de la famille au foyer paisible et sans heurt, ne jugez pas trop vite ceux que les lois souvent brutales de la destinée ont jetés dans des conditions d’existence anormales, dans des villes inconnues, au milieu de privations, de souffrances morales et physiques, de convoitises et d’influences que vous ignorez ; ne jugez pas trop vite les exilés et les errants dont les souffrances et les impressions tourmentées vous sont inconnues…

Au commencement de novembre, Paul Duval s’aperçut qu’il n’avait plus un sou vaillant dans ses poches. Ce nouveau vide le porta à refléchir ; il était plus que temps d’arrêter cette vie de désœuvré. Quand il buvait, Paul se sentait heureux et il oubliait tout ; il ne cherchait à s’enivrer que pour cela. Mais quand venait la période d’affaissement, le retour à la raison, quand, abruti, l’œil morne, le cœur malade, il se raidissait et s’écœurait de lui-même, une envie forte de pleurer le prenait.

Même des caractères qui ne sont pas toujours très vigoureux ont ce privilège souvent de pouvoir échapper à certaines dépressions morales qui, pour des causes diverses, peuvent affecter les plus forts. L’on n’évite pas toujours la faute par cela seul que l’on est doué d’une énergie capable de la braver ; la nature peut ployer et terrasser les faibles, sans doute,