Page:Potvin - L'appel de la terre, 1919.djvu/189

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minute exquise de ce baiser du retour !… la belle nuit de Noël où renaissaient deux amours !… « Faites qu’il revienne ! » venait de murmurer Jeanne en terminant son rosaire, et il revenait ; elle était exaucée et comme elle était belle, la récompense de son ardente et jeune foi ; inoubliable instant entrevu tant de fois dans des rêves sur les débris desquels la réalité du lendemain, ironique et moqueuse, venait tinter son glas funèbre ; réalité, enfin, toujours espérée mais qui apparaissait si lointaine qu’il semblait que la vie ne serait pas assez longue pour en savourer la joie…

Mais là, n’ont-ils donc rien à se dire, Paul Duval et Jeanne Thérien, qui sont là à se regarder sans avoir pu dire encore plus de mots que leur nom ?… Les grandes joies comme les grandes douleurs sont muettes. Il y eut ainsi plusieurs minutes de silence que prosaïquement vint rompre le cocher qui avait amené Paul aux Bergeronnes :

« Vous savez, » mams’elle, dit-il, « qu’on vient de faire un rude voyage ; tels que vous nous voyez, nous sommes partis de Tadoussac ce matin et la tempête nous a pris en route. Ah ! ç’a été rude ; vingt fois j’ai pensé à dételer à la prochaine maison ; il n’y avait pas un chrétien pour s’arracher dans des chemins semblables. Mais M. Duval voulait absolument arriver pour ce soir aux Bergeronnes. Dam ! c’est Fane qui a le plus souffert, pauvre bête !… de la neige jusqu’au poitrail, elle aura sans doute bien mérité la portion d’avoine que je m’en vais lui donner, si vous permettez, mam’selle, que j’aille dételer… »