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L’APPEL DE LA TERRE

grande et, durant les cérémonies du dimanche, il y a parmi l’assistance des taches qui sont des bancs vides. On commence à rougir, chez nous, du titre d’habitant ; on a honte d’être un homme qui habite « son » pays et dont on connaît le père, la mère, le grand’père, et le bisaïeul. L’on préfère se faire aventurier des grandes villes avec un passé ignoré, un avenir inquiétant, renoncer au bénéfice d’honneur et d’estime dont on peut jouir chez soi, pour aller chercher à la ville une place sans gloire, sans plaisir, pas toujours honorable. Que cette peur des soi-disants « intellectuels » sortis de nos maisons d’éducation, que cette peur de toucher aux mancherons de la charrue et de salir leurs mains blanchies par le frottement du papier, dans la terre humide des labours, en a fait de dévoyés et de ratés !…

Mais si Paul Duval s’ennuyait parfois de la terre dont il se trouvait comme banni, il arriva qu’il se mit à souffrir également de la nostalgie du monde, maladie d’autant plus dangereuse pour lui qu’il ne connaissait à peu près rien de son objet. Que savait-il, en effet, de ce monde que son instruction, si mince fut-elle, lui avait, croyait-il, rendu accessible ! À peine en avait-il entrevu quelques images à travers les fenêtres grillées de l’École Normale de Québec où il avait fait ses études ? Et, parce qu’il ne le connaissait pas complètement, il se mettait quelquefois à l’aimer follement et brûlait de s’y hasarder.

Et c’est ainsi qu’en ses heures désœuvrées, Paul Duval, l’instituteur de Tadoussac, était agité de ces deux alternatives. Il prenait comme une sorte d’âpre