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la baie

vu se renverser sur un côté en levant une grosse tête qui ressemblait à celle d’un cheval qui aurait de la barbe.

C’était, en effet, un orignal, une femelle, qui durant la nuit était venu se joindre à nos vaches et qui s’était tout bonnement mis avec elles à paître, tout comme s’il était chez lui, au fin fond des fourrés, du foin bleu et de la jeune bardane.

Ce beau coup de fusil de mon père avait réveillé les gens du campement. On su vite ce qui en était et tout le monde se mit en frais de débiter l’animal. Nous eûmes de la bonne viande pendant huit jours et, pour la garder fraîche, on en plaçait les quartiers dans une fosse que mon père avait creusée au milieu d’un ruisseau qui traversait les campes et qui était toujours rempli de belle eau courante. Quant à la peau du pauvre orignal, je me rappelle l’avoir vue pendant tout l’été tendue sur deux poteaux en arrière de notre cabane. Je ne sais pas ce qu’on en fit plus tard ; probablement des souliers ou des lanières de raquettes.

J’avais six ans quand y vînt un autre missionnaire. Il était arrivé en canot d’écorce dans l’après-midi et venait de Charlevoix par le Saguenay. Le soir, dans le campe où j’avais été baptisé et que l’on avait de nouveau transformé en chapelle, il y eut un salut du Saint-Sacrement avec un beau sermon qui avait fort touché mes parents et les autres puisque dans la soirée on était venu chez nous pour en parler. Et j’entendais nos parents dire : « C’est vrai que nous avons de la misère ; mais heureusement qu’il y a la récompense au bout et que si c’est pas dans ce monde-ci, ce sera dans l’autre, puisque nous faisons une bonne œuvre en venant ouvrir des terres neuves à la civilisation française et catholique… »

J’étais couché et je me confondais d’amour pour le missionnaire dont le sermon avait inspiré de si belles paroles aux veilleux. J’avais hâte de le revoir,