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la baie

quand le temps était calme, nous entendions ces derniers crier comme des enfants qui ont des coliques…

Une après-midi qu’il soufflait une forte brise venant du Bras du Saguenay, pendant que la maîtresse nous faisait calculer des problèmes d’addition et de soustraction sur nos ardoises, nous vîmes arriver une goélette qui paraissait flambant neuve et qui vînt mouiller vis-à-vis l’école.

C’était un événement considérable, vous pensez bien, que l’arrivée en ce temps-là, d’une goélette dans la Baie, et toute la classe fut sur pied. La maîtresse chercha, à coups de règle sur son pupitre, à nous imposer silence, mais ce fut peine inutile. Il n’existait plus pour nous alors dans le monde que la goélette qui venait d’arriver. Les règles de soustraction et d’addition, la lecture que nous allions faire dans le « Devoir du Chrétien » et notre leçon d’Histoire Sainte qui allait venir après, ne nous intéressaient plus. La maîtresse vit bien qu’elle perdait son temps à vouloir continuer la classe et elle nous donna congé pour le reste de la journée. Comme une troupe de moineaux, nous volâmes sur la grève où se trouvaient déjà presque tous nos parents.

Le capitaine de la goélette vînt à terre en canot d’écorce et demanda à voir Alexis Tremblay, qu’on surnommait Alexis Picoté et qui était comme le chef de la concerne.

Alexis Picoté, au printemps, était allé avec Thomas Simard, à Chicoutimi, pour vendre à M. William Price, qui avait là un grand moulin, les billots de beau bois que nos pères avaient coupés durant l’hiver, avec la permission de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui possédait tout le territoire du Saguenay et qui avait passé à cette fin un contrat avec Alexis Tremblay, mon père, Alexis Simard, et tous les autres. Le capitaine venait acheter ce bois et en charger sa goélette qui appartenait à Monsieur Price. Il remit à Alexis Picoté, comme je l’ai su plus tard,