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II

À part les maringouins pendant la belle saison et à part aussi les misères de l’hiver qui durant six mois nous tenaient sous dix pieds de neige ce qui n’empêchait pas les hommes de couper du bois tant qu’ils voulaient, notre vie était passable.

J’avais dix ans quand nous arriva une maîtresse d’école. Elle venait, comme nous autres, de Charlevoix et avait été envoyée par le missionnaire. Je commençai à apprendre à lire et à écrire de même que tous les autres enfants de la « concerne » car vous concevez bien que depuis l’arrivée de notre goélette jusque là, il n’était venu dans nos campes des « comme moi ». Le fait est que le jour où notre maîtresse d’école ouvrit sa classe, nous étions plus de vingt-cinq morveux et morveuses entre cinq et dix ans. Nos parents tenaient dur comme fer à nous faire instruire et leur premier souci fut d’engager cette institutrice avant même que la paroisse fut, comme on dit, canoniquement organisée, c’est-à-dire qu’il y eut un curé résidant.

On avait bâti l’école tout au bord de l’eau et l’unique fenêtre de sa façade donnait sur la baie ; par ce châssis et par la porte, quand elle restait ouverte, nous pouvions voir, durant la classe, toute une « trâlée » de crans, de l’autre côté de la Baie, jusqu’au Cap-à-l’Est où volaient continuellement des corneilles,