Page:Potvin - La Baie, récit d'un vieux colon canadien-français, 1925.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
la baie

je sortis de l’école à douze ans, j’avais ainsi amassé cinq piastres qui servirent à l’achat d’une douzaine de poulets que nous fîmes venir de la Malbaie.

Nos parties de noisettes dans la coulée de la Rivière-à-Mars se terminaient toujours par deux ou trois heures de pêche à la petite truite dans la rivière. À peine nos sacs étaient-ils remplis que nous coupions des gaules longues de trois ou quatre pieds au bout desquelles nous attachions des bouts de fil que nous trouvions au fond de nos poches avec des petits heins noirs que les capitaines de goélettes nous apportaient de Chicoutimi. Nous longions la rivière, butant aux grosses racines d’arbres, glissant sur les pierres moussues. Au bord d’un remou sombre, soudain, nous poussions un cri de triomphe : une ombre vert sombre, comme une feuille de bardane frétillait sous le courant du fond. C’était une truite. Nous approchions alors le plus près possible de son museau notre hameçon piqué jusqu’à l’œil d’une minuscule bouchée de lard blanc ; et c’était, un instant, une lutte de ruses entre nos bras nerveux et la truite défiante qui, trop souvent, disparaissait dans un petit rapide d’à côté, donnant des coups de queue rapides qui laissaient sautiller dans l’eau son ventre clair marqué de points rouges. Mais le plus souvent, elle se prenait à notre hein et nous voyions avec bonheur, l’instant d’après, se balancer frétillante dans l’air, au bout du fil, sous un brusque moulinet, le petit poisson qui s’en allait brusquement plonger dans une touffe de fougère de la rive. Nous en prenions, comme cela, de bonnes douzaines et le soir, à la maison, avec quelle joie nous les mangions rôties dans de la graisse.

Vrai, les saisons se passaient bien plus agréablement pour nous, les enfants, que pour nos parents. Ceux-ci travaillaient dur et misérablement, manquant souvent des outils les plus indispensables et, à la maison de presque tout ce qui était nécessaire à la vie d’une famille.