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la baie

point qu’à la fin de l’hiver, nous étions passablement écœurés de ces « frigousses » aux oreillards, encore que ce menu général ait été souvent coupé par quelques bons rôtis de perdrix que nos pères tuaient en coupant du bois.

L’été, nous avions la pêche à la petite truite rouge dans la Rivière-à-Mars, les bains dans l’eau salée de la Baie et la cueillette des petits fruits sauvages : les fraises en juin, les framboises un peu plus tard, les bleuets à la fin d’août et surtout les noisettes au commencement de septembre.

On trouve encore, au jour d’aujourd’hui, dans les coulées ou aux trécarrés des terres des coudriers avec des noisettes. Mais on ne sait pas ce que c’est que des noisetiers chargés. C’est dans mon jeune temps qu’on en voyait. Ah ! Dieu du Ciel ! Les flancs de la coulée de la Rivière-à-Mars, par exemple, en étaient tapissés, de noisettes. Les coudriers étaient si grenus que dans pas plus que dix minutes on emplissait un grand sac de noisettes. Quand nous en avions ramassé plusieurs pochetées, nous allions les enfouir dans de grands trous creusés derrière les campes et nous les couvrions de mousse humide et de terre mêlée de paille. Nous laissions ainsi pourrir leur rude écorce couverte de barbillons après quoi nous les roulions entre deux planches afin de séparer, comme dans un crible, la paille du grain, la pulpe pourrie de l’enveloppe des noisettes jaunes et lisses comme des marbres. Nous comptions ensuite nos noisettes que nous placions par mille, dans des petits sacs de toile que nos mères avaient cousus et que nous vendions vingt-cinq sous le sac de mille aux gens des goélettes qui venaient, à présent, chaque été, toutes les semaines, charger nos billots pour la Compagnie Price de Chicoutimi.

Pour ma part, ce fut le premier argent gagné. Ce que j’éprouvai de plaisir et d’orgueil à serrer au fond d’un bas ces premières pièces de monnaie. Quand