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la baie

croix, jusqu’à l’heure du coucher alors qu’il faisait tout noir et que nous avions peine à distinguer l’eau d’avec la terre.

Un vendredi soir de la fin d’août, Alexis Tremblay vînt chez nous et dit à mon père :

« Onésime, demain matin, on devrait aller aux bleuets au Cap-à-l’Est. Il y en a sans bon sens à ce qu’il paraît. C’est Ignace Couturier qui est allé là, l’autre jour, à la chasse, qui m’a dit ça. »

— « De fait, a répondu mon père, c’est une bonne idée et m’est avis que ce serait pas une extravagance de prendre un peu de congé ; ça fera plaisir aux femmes et aux enfants. »

Le Cap-à-l’Est est de l’autre côté de la Baie, à peu près vis-à-vis Saint-Alphonse. Alexis Tremblay ajouta :

« Nous irons dans ma goélette. Nous partirons demain matin et reviendrons lundi. Nous coucherons là deux nuits dans une cabane de branches de sapin que nous construirons ».

Vous pensez si j’étais content quand j’ai entendu ça, et les autres jeunesses aussi à qui je m’étais empressé d’aller apprendre la nouvelle.

De fait, nous partions, le lendemain matin, à la fine pointe du jour, en goélette, avec toutes les provisions dont nous pouvions disposer. Nous étions vingt sur la goélette qui mouilla de l’autre côté de la Baie, une heure après notre départ. La belle journée ! Il faisait un temps tiède et beau soleil. On ramassait, aux flancs du cap, les bleuets à la jointée. Il y en avait que tout en était bleu. À l’ombre, sous les coudriers et les bouleaux, ils étaient gros comme des noisettes de la Rivière-à-Mars, chairus comme des prunes et juteux comme des framboises. Le samedi, nous en ramassâmes la valeur d’au moins une douzaine de chaudières.

Le soir, mon père, Alexis Tremblay, Ignace Couturier, Joseph Lapointe et Louis Villeneuve cons-