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la baie

truisirent une grande cabane en branches de sapin et d’épinette recouverte d’écorce de bouleau. Tout le monde s’installa à l’intérieur et on en ferma l’entrée avec deux sacs de toile. Nous avions laissé nos bleuets, en dehors, près de la cabane, dans une grande boîte de bois à cette fin. Et nous nous couchâmes, les membres de chaque famille ensemble, tout autour de la cabane pendant qu’au centre un feu de fougères et de feuilles de bouleaux était allumé pour chasser les maringouins.

Voilà qu’au beau milieu de la nuit nous sommes réveillés par un sourd grognement que nous entendons au dehors tout près de la porte. Non, jamais, pour ma part, je n’ai autant eu peur, et ce n’est pas François Maltais qui me rassura quand ayant écarté un coin de la toile qui servait de rideau à la porte, il dit en se tournant vers mon père :

« Onésime Gaudreau, t’as ton fusil, j’suppose ; c’est un gros’t’ours qui est à la porte et qui mange nos bleuets dans la boîte ».

En effet, mon père avait apporté son fusil qui était dans un coin de la cabane, bien bourré de plombs à gros gibiers. L’animal était à quatre pattes dans la boîte et se régalait de nos bleuets en grognant de plaisir. Mon père pointa le canon de son arme par un coin de la porte et tira. Dans ce calme de la nuit, j’ai jamais entendu un coup de fusil pareil. L’ours touché en plein dans la tête, tomba à la renverse, les quatre fers en l’air dans la boîte aux bleuets. Mon père tira de nouveau pour être sûr d’avoir bien rachevé la bête qui était pourtant morte et demie. Alors, tout le monde sortit de la cabane. La lune, piquée au-dessus de la Baie, éclairait comme en plein jour. Quelle confiture, mes amis ! Les hommes sortirent l’animal de la boîte, on imagine dans quel état. On dût aller chercher des seaux d’eau sur la grève pour le laver avant de le débiter. Personne n’avait plus sommeil et le reste de la nuit se passa à peler l’ours