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la baie

leur vu qu’elle favorisait les travaux des labours et des semences.

Tout à coup, voilà que nous entendons hurler un chien à la lisière du bois. C’était le mien ; je reconnus aussitôt sa voix. Mon père la reconnut aussi :

« Tiens, fit-il, Miro était donc pas ici ; je le croyais couché dans la maison. Je me demande ce qu’il fait là-bas ».

Et là-bas, Miro continuait de hurler comme si on l’eut égorgé. Je me levai et m’en fus à la lisière qui était seulement à tout au plus trois arpents de la maison. Miro était assis sur son derrière, le nez en l’air et hurlait, hurlait. On aurait dit la sirène d’une barge à vapeur. Je l’appelai tant loin que je le vis ; « Miro, viens ici ! » Mais mon chien ne fit aucun cas de moi. Je me fâchai et criai plus fort ; « Miro, vas te coucher, espèce d’animal ! » Bernique ! Miro hurlait comme de plus bel. Je m’approchai de lui sans qu’il bougeât et, impatienté, lui donnai un coup de pied au derrière ; c’était la première fois, vrai, que je battais mon chien. Miro se coucha à mes pieds en pleurant. En vain, j’essayai par des paroles tantôt tendres, tantôt dures, de l’entraîner à ma suite à la maison. Peine perdue ; alors, je le saisis d’une poignée de poil au cou et le traînai ainsi jusqu’à la maison. Là, il se coucha, tout près du four, en grognant.

« Mais qu’est-ce qu’il a donc ? » demanda ma mère.

J’étais très inquiet. Il y avait quelque chose de pas ordinaire dans les manigances de mon Miro. Couché, la tête allongée sur ses deux pattes de devant, il me regardait fixement de ces deux bons gros yeux mouillés ; et, je le regardais de même, très triste, pendant que les autres continuaient de jaser.

Ce que c’est que les pressentiments ; à ce moment-là, je me mis à penser à toutes sortes de mal-