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la baie

On avait pour les construire autant peiné que nous, et que c’était triste de les voir ainsi de loin brûler !…

« C’est une consolation », fit quelqu’un, « mais le feu traversera pas la rivière ».

— C’est à savoir, fit mon père ; c’est traître, ces feux de forêts surtout en temps de sécheresse. Tenez… voyez !

Nous étions tous rassemblés en face de la chapelle. Un cri de terreur jaillit de toutes les poitrines. Sans que l’on ait pu comprendre de quelle façon, le feu, dans l’instant de le dire, s’était attaqué aux premiers bouquets d’arbres de notre territoire. Il avait traversé la Rivière-à-Mars. Comment ? Je n’en sais rien. Il arrivait sur nous avec un train d’enfer. On entendait le grondement des flammes, et c’était terrible.

« Sauvons ce qu’on peut ; on va brûler aussi ! » cria Alexis Picoté.

Au moment où tout le monde allait s’élancer vers les maisons pour y chercher ce que chacun avait de plus cher, une femme qui se tenait au bout de la Pointe de la Croix, cria :

« Le Père Honorat ! Le Père Honorat ! Il va arrêter le feu ! »

Il faut vous dire que le Père Honorat était un Oblat qui était venu, juste dans ce temps-là, faire une mission dans tous les postes du Saguenay. C’est lui qui devait, deux ou trois ans plus tard, remplacer notre premier curé résident, l’abbé Pouliot. La veille de ce jour du feu, le Père Honorat était parti de Saint-Alexis, en canot, pour aller administrer les derniers sacrements à un malade de l’Anse-à-Benjamin, de l’autre côté de la Baie. Il ne devait revenir chez nous que dans deux jours. En voyant le feu, le Père, sans doute, était aussitôt reparti pour traverser la Baie et il arrivait justement au moment où la flamme gagnait notre village.