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la baie

Hélas ! il était trop tard. Comme un démon, après avoir dévoré toute la lisière de bois qui s’étendait de la Rivière-à-Mars à nos maisons, le feu avait attaqué celles-là et la nôtre était une des premières ; elle y passa ainsi que les voisines. Tout le reste du village était menacé, quand le Père descendit de son canot :

« Vite, vite ! Père, le feu va détruire la chapelle, criâmes-nous ».

Le Père Honorat, sans se « blouser » descendit de son canot, mit en ordre, tranquillement, ses avirons, et se mit à marcher vers le village. À ce moment, il soufflait une forte brise d’ouest. Le missionnaire alla jusqu’à la chapelle. Comme il y arrivait, le vent calmit et, naturellement, le feu aussi. Celui-ci s’arrêta juste à l’endroit où se trouvait le Père qui appelait tous les hommes pour arroser la chapelle de seaux d’eau. Le feu mourut là.

Il ne resta de notre village que la chapelle et neuf ou dix maisons. Tout le reste avait passé.

Personne, durant cette terrible soirée ne périt, mais je dois vous dire qu’il s’en faillît de peu. Alors que nous nous tenions sur la pointe et que le feu nous menaçait, l’on se rappela tout à coup que la femme de Michel Gagné, un de nos voisins, était malade au lit. Vite, quatre hommes coururent à la maison et ramenèrent sur un matelas la pauvre malade à la Pointe. Et, comme le feu nous menaçait même à la Croix, avant l’arrivée du Père Honorat, on avait construit en hâte une sorte de cageu avec quatre madriers cloués sur deux bouts de billot que l’on avait lancés à l’eau et sur lequel on avait déposé la malade. Au cas où le feu gagnerait la pointe nous devions pousser le cageu au large, à la grâce de Dieu, et le suivre dans l’eau.

Le Père Honorat nous sauva.