mais nous n’étions pas inquiets vu que le cadet s’attardait quelquefois à pêcher dans la Rivière-à-Mars qui coulait non loin du trécarré de ma terre. Et justement, j’avais observé qu’avant de partir, cet après-midi-là, mon Arthur avait pris sa perche de ligne et était descendu dans la cave se quérir un petit morceau de lard pour appâter ses heins. Nous fîmes la traite des vaches, ma femme, mon plus vieux, Joseph, et moi, puis nous soupâmes vite afin d’aller à la prière qui se disait tous les soirs à l’église. À sept heures et demi, quand nous partîmes pour le salut, Arthur n’était pas encore arrivé. C’était la première fois qu’il retardait ainsi. Ernestine était inquiète. C’est Arthur qui avait coutume de servir le salut et je dis à ma vieille : « On le verra dans le chœur tantôt ; il va venir tout droit à l’église ».
Ma mère, qui restait avec nous et qui avait quatre-vingt ans, était restée avec notre petite Jeanne à la maison pour la garder.
Le chapelet dit et la prière aussi, le salut commença. Mais ce fut un jeune Gauthier que nous vîmes arriver à l’autel comme servant de Monsieur le curé. Mon garçon n’était pas revenu. L’inquiétude me prit à mon tour pendant que ma femme, à côté de moi, dans notre banc, se mit à pleurer en silence. Vous pensez si le salut terminé on se pressa de sortir de l’église. Il y avait un rassemblement sur la place ; on parlait bas et on fit silence quand on nous vit se diriger vers chez nous. L’inquiétude me mordait le cœur. Nous pensions trouver Arthur à la maison, couché et malade. La mère dormait sur son fauteuil devant le poêle et Jeanne aussi sur ses genoux… Pas d’Arthur ! Ernestine maintenant pleurait à tue-tête et moi, j’avais toutes les peines du monde à me retenir. Ma mère, réveillée et mise au courant, se mit à brailler aussi et la petite fit de même.
Tout d’un coup, Joseph qui regardait par la fenêtre de devant dit ; « Papa, v’là le curé qui vient ».