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la baie

La blonde de Joseph était une jeune fille évaporée sans bon sens qui avait été élevée aux États et qui, à la mort de son père dans une ville du Maine, était venue demeurer avec un de ses frères, contremaître aux moulins Price à Chicoutimi. Elle ne rêvait que de se marier ici et de retourner aux États avec son mari. Joseph s’en amouracha jusqu’à en perdre le boire et le manger. Il en était, comme on dit, possédé. Encore moins que le mari de Jeanne, cette fille-là était de mon goût. Si Joseph avait été d’un caractère sérieux encore ! Mais il était loin de l’être, je vous assure, et il ne manquait plus que cette dévergondée pour lui faire perdre la tête. Oui, s’il avait été sérieux et qu’il eût aimé la terre, j’aurais laissé faire sans trop me tourner les sangs. Il eut dans ce cas forcé sa femme à rester chez nous, tandis qu’avec les idées qu’il avait derrière sa tête, c’était, vous pensez bien, le contraire, qui était à craindre.

Un jour, la blonde de Joseph vint se promener à Saint-Alexis. Joseph l’amena chez nous pour nous la présenter. Je dois vous dire qu’elle était pas déplaisante à voir ; elle avait une belle façon et une figure passablement d’adon. Ernestine et moi, nous lui fîmes une belle réception afin qu’elle pût trouver la maison de son goût. Dans ce temps-là, ma propriété était l’une des plus avenantes de la paroisse. La maison était propre, blanchie à la chaux, avec des encadrements de portes et de châssis peinturés en vert et bien découpés. Tous les ans, je goudronnais le toit qui était fait de bons bardeaux de cèdre. En avant, il y avait un parterre plein de fleurs de toutes sortes et des arbres tout alentour avec un grand potager en arrière. Les dépendances étaient aussi bien entretenues. On aurait dit de loin que la grange et l’étable étaient des maisons pour le monde. Tout était propre partout, aux alentours.

On monta jusqu’au trécarré pour faire voir toute la terre à la blonde de Joseph dont je surveillais,