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XII

Ce qui devait arriver arriva ; j’en étais bien plus sûr, depuis quelque temps, que de mon salut éternel.

Ça vint au temps du curé Barabé.

Mon garçon Joseph venait d’avoir ses vingt-et-un ans et il était pas plus ambitionné au travail de la terre qu’il était à l’âge de dix ans quand son jeune frère Arthur mourut si tristement dans la Rivière-à-Mars. Celui-là devait me remplacer comme les petits-fils d’Alexis Picoté, de Louis Villeneuve et les autres. Mais le Bon Dieu en a voulu autrement et je m’en suis remis à sa sainte volonté. Ernestine et moi on s’est soumis, que voulez-vous ?

Un beau dimanche après-midi de la fin d’octobre, Joseph nous annonça qu’il voulait s’en aller aux États avec d’autres jeunesses de Saint-Alphonse et de Saint-Alexis. Allez donc le retenir quand on savait qu’il pensait à ça depuis dix ans !… Autant vouloir arrêter le Saguenay de se décharger dans le fleuve Saint-Laurent.

Je ne dis pas un mot ni sa mère non plus. Mais Nestine, comme lors du soir de notre corvée des foins, quand j’avais sermonné mon garçon, pleurait dans le même coin de la cuisine.

Vous avez pas idée, vous autres, de la peine qu’on peut avoir de perdre son seul garçon. Non pas par la mort, — dans ce cas-là, on se résigne puisqu’il