Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
LE FRANÇAIS

de terre appauvri depuis des années et des années par la même culture fournissait de plus en plus difficilement le blé nécessaire à la communauté, aux voyageurs et aux sauvages qui arrêtaient nous voir en montant à la chasse… Vous savez, j’avais parcouru avec des sauvages toute la forêt, depuis la Baie jusqu’au grand lac Écarté, et je savais que la terre, dans toute cette étendue du pays, était bonne pour le blé, je vous assure… je savais que c’était partout de la terre comme l’on en voit pas ailleurs, surtout au fond de la Baie. Pendant plusieurs mois, je ne parlai plus au Père Supérieur ni aux autres que de la terre de la Baie ; le blé viendrait là, disais-je, comme dans des pots à bouquets ; l’on n’aurait pas assez de bras pour le récolter même d’un champ grand comme mon mouchoir ; et puis quel blé !… et quelle farine !… mes enfants ! Mais je me butais à un mur, sauf le respect que je dois à la mémoire du bon Père Péan. Je puis bien vous dire cela aujourd’hui parce qu’il y a si longtemps, mais le Père Péan n’était pas toujours commode. Il me repoussait chaque fois que je venais lui parler de mon projet…

« Un printemps, je vis bien que la famine nous attendait pour l’automne. Il fallait à tout prix trouver un moyen de semer ailleurs que dans notre vieux champ bon tout au plus pour un pacage à moutons. Je ne voyais toujours que la terre grasse du fond de la Baie. Je ne pensais plus qu’à cela ; j’en rêvais la nuit. Mes méditations du matin, ce printemps-là, je vous assure, ne durent pas être bien bonnes pour le