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LE FRANÇAIS

Le soleil finissait cependant par allonger sur le parquet de grands traits minces qui se brisaient à l’angle des meubles et tremblotaient au plafond. Des mouches circulaient en tous sens sur le tapis ciré de la table et bourdonnaient avec sonorité quand elles s’envolaient. Une grosse, toute verte et ventrue, qui cherchait une issue, vibrait et se cognait contre les murs ; de temps en temps, elle allait se poser sur un meuble où, se tenant immobile, elle ressemblait à une tête d’épingle à chapeau.

Tout est silencieux et la méridienne accable bêtes, choses et gens.

Jean-Baptiste Morel se souvient d’une après-midi, chaude comme celle-là, mais combien plus triste encore. Son fils unique, Joseph, était parti, ce jour-là, pour ne plus revenir. Depuis quatre ans, il dormait sous la terre bouleversée des Flandres brumeuses. Il était tombé, un matin de bataille, frappé d’une balle allemande. Que c’était triste à penser ! Joseph Morel avait alors vingt-deux ans, quand, un hiver, au lieu d’aller dans les chantiers comme la plupart des jeunes gens de la paroisse, il était parti pour Montréal où il avait pris du travail dans une fabrique de chaussures. Il avait promis à son père de revenir, dès les premiers jours du printemps, pour l’aider aux travaux de la terre. Il était sincère. Joseph, comme son père, aimait passionnément la terre et pour rien au monde il l’eut volontairement quittée pour toujours.

Mais la guerre alors ravageait, depuis quelques mois, la vieille Europe et mettait la France et l’An-