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LE FRANÇAIS

parlait, et l’on prenait plaisir à l’épater par des coutumes qu’on savait lui être étrangères. De plus, l’on n’ignorait pas que Marguerite et lui n’étaient pas indifférents et, cruellement, cet âge est sans pitié, jeunes gens et jeunes filles se plaisaient à saisir toutes les occasions de faire « diabler » Jacques Duval dont on connaissait l’amitié pour la fille de Jean-Baptiste Morel.

À la vérité, Léon Lambert se sentit d’abord un peu dépaysé dans ce nouveau décor familier à tous excepté à lui, gêné et gauche parmi toute cette bruyante jeunesse dont il se sait étranger. Appuyé au tronc d’un tremble qui surplombe le lac, il s’amuse aux sauts des garçons dans le pré et au travail babillard des jeunes filles autour des tables. Il prit bientôt un plaisir particulier à écouter de tout le battant de ses oreilles un chant qui a éclaté tout à coup dans la haute cime d’un bouleau dont quelques branches déjà sont roussies. La voix monte avec une grande puissance, mince, fine, tenue, comme un fil, puis s’épanouit en des vibrations éclatantes, des roulades prolongées qui s’éparpillent dans l’air pareilles à des fusées. Quelle jolie aubade !

« Que c’est beau !… » claironne joyeusement à côté de lui une voix qui lui parut aussi fraîche que celle du petit musicien ailé de la cime du bouleau.

Marguerite Morel, qui avait fini de surveiller la cuisson du blé-d’inde dans la chaudière de zinc, est venue vers lui, souriant de tout son frais visage rose animé par le contact du feu sur lequel elle s’est maintes fois penchée. Et voilà que la chère silhouette qui se