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LE FRANÇAIS

jours, qu’à l’avenir de sa terre, à sa fille surtout. Toute sa vie maintenant se reporte sur Marguerite. C’est elle qui a entre ses mains le sort de la terre. Lui, ne vivra plus bien longtemps ; il se sent vieux. Mais il veut que la terre vive et demeure après lui. Puisqu’il n’a plus de fils, la terre restera à sa fille qui doit lui donner un gendre ; mais encore faut-il que ce gendre soit selon son cœur, selon l’amour douloureux, l’attachement passionné qu’il a voué à son bien qui résume pour lui toute la patrie. Il voulait, comme il disait souvent, garder à sa terre son âme. Elle ne devait être, pour cela, cultivée que par les siens ou par ceux qui étaient du pays et de sa race. Sa terre était couverte de trop de souvenirs attendrissants pour qu’il eût même la pensée de la livrer à des étrangers en la vendant. C’est son père qui avait commencé à la défricher alors que le pays du Témiscamingue s’ouvrait à peine à la civilisation. C’est son père qui avait bâti la maison, et c’est lui qui, détail touchant, contrairement à la plupart des colons, avait eu cette prévenance pour ses descendants de laisser debouts, d’entretenir même les saules du jardin qui faisaient aujourd’hui l’orgueil de sa maison. C’est ici, dans la pièce d’à côté, qu’il était mort après une longue vie de travail et de probité. C’est dans la même chambre que sa mère était aussi partie et que sa vaillante compagne l’avait quitté pour toujours. Enfin, c’est dans cette cuisine que Marguerite et lui avaient appris la douloureuse nouvelle de la mort du garçon. Les arbres du jardin, les murs de la maison, les vieux meubles usagés des