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LE FRANÇAIS

son morose avait accroché aux arbres et répandu dans les champs ses draperies mélancoliques. Le paysage des terres, vieilles ou neuves, avec leurs souches plantées comme des mausolées qui évoquaient la mémoire de la forêt, était net et comme lavé d’un lavage récent, de même que le samedi soir, le parquet des maisons reluit après les frottements saccadés de la brosse à lessive aux bras musculeux des solides ménagères. Les couleurs, qui allaient du chocolat clair des arbres au vert très pâle des prés et au blond cendré des chaumes, se détachaient brusquement les unes des autres, quand le soleil venait à appliquer en plein front ses baisers à la campagne. C’était partout l’absolu silence si propre à la saison demi morte. L’ensemble des champs était comme une zone rase que revêtaient seulement l’air et la lumière. À la hauteur des terres, une fraîcheur âcre montait d’en bas faite de tous les arômes ramassés, ici et là, dans les sillons des labours d’automne, au long des chemins et des clôtures encore bordés d’arbustes et d’herbes, dans les prairies verdâtres et dans les champs fraîchement mouillés et qui lentement séchaient.

Jacques Duval tourna son tombereau au bout de la terre faite, le long du taillis du trécarré, et Blond, aussitôt arrêté, après avoir secoué en quelques coups de tête énergiques le mors et les cordeaux trop tendus, se mit à lécher goulûment une mousse d’herbe qui se trouvait là, juste à ses pieds. Le bois vert du trécarré bruisait et le chant des derniers oiseaux se faisait entendre plus clair dans la sonorité de la futaie faite de