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LE FRANÇAIS

toutes les feuilles tombées des bouleaux et des trembles. Tranquillement, avec méthode, en homme que rien ne presse, pas même la fin prochaine de la saison tolérante de l’automne, Jacques Duval éparpilla avec sa fourche toute sa charge de fumier sur ce coin de pré où le père voulait semer des patates, le printemps prochain. Ce pré était de terre sablonneuse où, en effet, les tubercules viendraient bien. Quand Jacques eut fini, il s’arrêta, le front ruisselant de sueurs, encore que l’air fut frais. Il se redressa, s’appuya nonchalamment sur le manche de sa fourche fichée en terre et embrassa du regard, toute la terre du père qui s’étendait devant lui. Il voyait tout au bout, près du chemin du roi, la maison, la grange et l’étable comme des dés, et toute la terre, à partir de là jusqu’à lui, était blonde sous le soleil pâle. Un instant, Jacques Duval s’attendrit ; il eut comme la révélation subite d’un sentiment qui existait en lui, impérieux et profond : l’amour de la terre, sentiment qu’il ne pouvait s’expliquer mais qu’il sentit soudain affluer du profond de son cœur, comme venant de très loin, en même temps que surgissait en lui la pensée des ancêtres tous nés et morts sur la terre. Il lui sembla, en ce moment, qu’il n’avait jamais pensé, un instant, à la quitter cette terre qui, encore qu’elle se mourait, se faisait si belle et si tendre, sans doute pour se mieux faire regretter, après la désertion.

Jusqu’alors, Jacques avait toujours cru que la terre ne pouvait fournir que de la fatigue et de l’ennui ; il y aurait donc du plaisir en elle simplement à la con-