développer, à conserver ; et c’est pour tout cela qu’il l’a toujours labourée avec acharnement. Il l’aime enfin parce qu’il sait de combien de liens l’âme et le corps sont attachés à ce coin de la petite patrie, parce qu’il sait qu’à l’avoir brassée sans trêve ni repos pendant plus de trente ans, une force supérieure aux plus grands malheurs de la vie, s’est communiquée à lui. De ces malheurs, de ces calamités de la vie, il a enduré sa large part ; et il en attend encore. Mais il sent qu’il en est des douleurs comme des récoltes manquées ; il faut supporter la disette et attendre la moisson prochaine.
Tout cela, lui semblait-il, serait fini : ces joies âpres et ces espoirs pénibles, s’il allait vendre son bien ou le livrer à des mains étrangères. L’âme de la terre mourrait, et lui aussi, sans joie, sans récompense. Il ne voulait pas tuer l’âme de sa maison.
Et cette âme, il la sait incarnée dans Marguerite. Mais il n’ignore pas que sa fille seule ne peut continuer de faire vivre la terre. Elle doit lui donner un remplaçant avant qu’il meurt, lui aussi, comme le père…
Jean-Baptiste Morel songeait ainsi depuis des heures…
Marguerite entra dans la cuisine, venant du « fourni » où elle avait allumé le poêle pour la cuisson des aliments du souper et pour y faire chauffer ses fers à repasser. Elle alla remonter le store de la fenêtre, et la clarté du dehors aussitôt inonda la pièce… Puis, alerte, la jeune fille parcourut la cuisine, rangeant les meubles, les époussetant d’un coup sec et rapide de son