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LE FRANÇAIS

collier qu’elle avait donné en gage, Marguerite Morel fut condamnée à aller « pleurer son sort » et à appeler à son secours son amoureux.

Marguerite protesta énergiquement, mais ce fut peine perdue ; elle dut aller s’agenouiller au milieu de la salle et là, la figure cachée dans ses mains, pleurer à bruyants sanglots et crier par trois fois : Mon cavalier ! … mon cavalier !… mon cavalier !… comme au temps de la colonie française au Canada, les censitaires fautifs devaient aller, à genoux, crier par trois fois à sa porte le nom du seigneur leur maître.

L’institutrice demanda :

« Votre cavalier, qui est-ce ? »

La condamnée devait prononcer à haute voix le nom cher à son cœur. Alors, celui qui était nommé, s’il faisait partie de l’assistance, — et il était rare qu’il n’y fut pas — devait à son tour aller s’agenouiller en face de la victime, pleurer également dans la même désolante attitude, puis, tout à coup, écarter les mains dont la jeune fille se couvrait le visage et l’embrasser bruyamment, après quoi, le châtiment consommé, chacun reprenait sa place.

Jeux innocents et joyeux, coutumes naïves et puériles, eut-on pensé qu’un soir de la Sainte-Catherine, vous seriez la cause d’un drame intime qui allait pour un instant broyer le cœur d’une faible jeune fille ?… À genoux, au milieu de la grand’salle, dans son humiliante attitude, Marguerite Morel ne s’amuse plus… À la question posée par l’institutrice : « Votre cavalier, qui est-ce ?… » elle sent soudainement une an-