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LE FRANÇAIS

Elle s’en fut dans le « fourni » soulever de nouveau le couvercle du chaudron, rentra dans la cuisine et pendit à un clou planté au milieu de la porte qui donnait sur la salle, sa robe blanche, toute raide, éblouissante, qu’elle tapota légèrement pour en arranger les plis…

« Tu veux donc pas te marier, Marguerite ?… Mais la terre ?… »

— « Me marier ?… Mais oui, père, je veux bien me marier !… »

— « Ah ! tant mieux ! »

— « Je veux me marier, mais, mon Dieu !… comment vous dire cela ?… Mais avec celui que j’aime. »

— « T’en aimes un, alors ?… »

— « Oui… j’ai un cavalier, père ; je l’aime. Mais il n’a pas d’argent ni de terre. Il n’a rien. Et puis, il ne sait même pas que je pense à lui. Pourtant, c’est lui que j’aime, lui seulement ; les autres, tous les autres, et avec eux Jacques Duval, c’est drôle ce que je vous dis là, mais ils m’ont l’air de « coureurs de lots »… Ils savent que vous allez me donner votre terre et ça m’a l’air bien plus la terre que moi qu’ils veulent… »

La jeune fille, résolument, laissant toute besogne, était venue se planter devant son père et, tout d’un trait, le front haut comme un épi de blé en pleine maturité, avait lancé sa façon de penser sur « les autres » et donné ses préférences. Le malheureux père semblait atterré ; des lueurs sombres, un instant, passèrent dans ses yeux où il n’y avait plus aucune trace de douceur.