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LE FRANÇAIS

— Et chacun aime selon ses goûts, riposta Marguerite.

Aux premières fraîcheurs de la brunante qui venait, les quelques arbres qui bordaient le chemin, parés de feuilles menues, tendres, lustrées de la gomme des bourgeons, frissonnaient comme ravies d’étaler leurs jeunes panaches, se balançaient lentement de droite et de gauche, ivres de la sève qui des entrailles de la terre en pleine gestation, montait par tous les fils capillaires et les inondait de vie… Une sérénité divine s’épandait partout sous les derniers feux du jour, sur toute l’étendue des terres du Rang, baiser touchant donné par le ciel radieux à la terre, à la bonne terre qui a tant besoin de caresses, qui a tant besoin d’être consolée, d’être aimée, afin de retrouver, le lendemain, la vaillance nécessaire pour commencer la lutte des sueurs éternelles dont est fait le pain quotidien…

Malgré les remontrances de son père attristé, malgré les supplications de sa mère en larmes, Jacques Duval. partit brusquement dans les premiers jours de juin. Pour atténuer la peine que causait sa désertion, il promit, mais du bout des lèvres, qu’il reviendrait, un jour… Il expliqua assez gauchement qu’il s’en allait comme était parti, quelques années auparavant, promettant de revenir, le fils de Jean-Baptiste Morel. La guerre avait pris ce dernier ; mais il n’y avait plus de guerre, et qu’est-ce qui empêcherait Jacques Duval de retourner à la terre si la ville ne lui allait pas ? Mais personne ne fut dupe de cette factice promesse. L’on sentait que le sacrifice qu’il faisait, en partant, de son