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LE FRANÇAIS

acheter ni payer : c’est l’âme de ma terre, de ma maison. Vous comprenez pas ça ? Moi, j’peux m’expliquer mal, mais je l’comprends. Ma terre, voyez-vous, elle me rappelle toutes sortes de choses, des affaires tristes, comme la mort des miens, et des affaires joyeuses comme quand ma fille est venue au monde, et encore bien des choses, des choses de rien, si vous voulez, mais qu’on se souvient toute sa vie. Ma terre, elle me rappelle surtout mon défunt père qui l’a ouverte avec moi ; elle m’fait souvenir encore à ma pauv’ femme qui en a tant arraché dans les premiers temps de not’ ménage à mener le train toute fine seule ; enfin, elle m’donne encore le souvenir de mon pauv’ garçon qu’est parti d’ici…

Jean-Baptiste Morel s’arrêta. Une subite émotion le serrait à la gorge au souvenir des chers morts…

M. Larivé fut touché mais non désemparé par les dernières paroles de son voisin. Il capitula pour l’instant se promettant bien toutefois de revenir à la charge.

« Allons », fit-il en se levant, « n’en parlons plus ! Croyez, monsieur Morel, que votre grand amour pour le pays natal me touche profondément… j’attendrai… »

— Qu’est-ce que vous attendrez, M. Larivé ? Ma mort ?… Je vous dis que j’suis de bonne terre ; vous verrez.

Le grand propriétaire se retira. Mais malgré sa vaine tentative, il ne s’en tînt pas moins sûr de la victoire finale. M. Larivé ne cessait de se dire que Jean-Baptiste Morel, seul, ne pouvait continuer l’exploitation de son lot et qu’il ne pouvait plus longtemps lui-