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LE FRANÇAIS

À la mort de son père, Jean-Baptiste Morel avait ceint avec fierté la couronne de la dynastie établie au Témiscamingue, après avoir régné pendant plus d’un siècle dans l’une des plus vieilles paroisses du Richelieu. Le père de Jean-Baptiste, sous le coup d’une malheureuse expropriation nécessitée par la construction d’un nouveau chemin de fer, avait dû vendre cette terre ancestrale du Richelieu, désormais morcelée, brisée, dilapidée, et, avec sa femme et son fils, il était venu recommencer au Témiscamingue l’œuvre de ses ancêtres. La dynastie continuait de régner mais sur un autre royaume. L’âme de la maison du Richelieu planait encore au jeune Témiscamingue. Voici tout à coup que la couronne se trouve en danger. Jean-Baptiste Morel, qui sentait tout le poids de la responsabilité du royaume, entrevit soudain la honte de la chute ou de la décadence… Il exagéra la gravité du malheur dont il se croyait menacé. Il en vint à penser qu’il ne souffrirait pas plus de voir son pays envahi par l’ennemi qu’à savoir aux mains d’un étranger, sa terre, coin infime de la patrie laurentienne.

La chute d’une ambition longtemps caressée s’ajoutait à sa désillusion. Les ambitions ne sont-elles pas, le plus souvent, la cause de grands chagrins ? Tout en cherchant à conserver sa terre, Jean-Baptiste Morel rêvait sans cesse de la voir plus grande, plus belle, plus riche, et la maison familiale plus attrayante. Comme tous les paysans, il était un peu âpre au gain. Aussi, on l’a vu, désirait-il ardemment pour gendre, le fils d’un riche cultivateur qui apporterait quelque bien à