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LE FRANÇAIS

pour moi de plus cher au monde. Penses-tu que je pourrais être content si je m’en allais, comme ça, en te laissant avec ma terre entre les mains d’un homme que j’connais quasiment pas ; penses-tu que j’vivrais tranquille tout l’reste de ma vie en pensant que celui qui cultive ma terre avec moi, c’est un homme sur lequel tout ce que j’sais, c’est que je l’ai trouvé dans la neige à la Pointe-au-Vin ! Non, tu comprends ça, Marguerite, j’l’sais ! Mais l’connais-tu, toi, Léon ?… Il peut avoir des ambitions, ce garçon-là ; il peut avoir des pensées d’en arrière d’là tête. On sait jamais avec ces étrangers qui nous arrivent !… M’est avis que c’est ces étrangers-là qui en veulent à nos biens. T’a-t-il dit qu’il t’aimait, au moins ?… Moi, c’que j’ai peur, c’est qu’il aime surtout mon lot… Lui qu’a laissé son pays, comme il nous l’a dit, pour venir gagner d’l’argent, ce serait une si belle occasion pour lui de tomber, comme ça, à pic sur une terre toute faite qui lui appartiendrait, et ça, rien que pour t’avoir fait des yeux doux !…

Jean-Baptiste Morel ne dit pas cela seulement pour contrecarrer les idées de sa fille ; non, il le répète, il veut seulement son bonheur, à elle, et à sa terre, la gloire de rester aux siens, à ceux de son pays. On ne peut pas lui en vouloir pour cela…

« Dis que tu m’en veux pas, Marguerite, que t’es pas fâchée contre moi », supplie le malheureux père, en terminant son larmoyant plaidoyer. Il se faisait plus misérable qu’il ne l’était ; son caractère le portait à exagérer son malheur… Il y a en nous quelque