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Page:Potvin - Le Français, 1925.djvu/95

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LE FRANÇAIS

chose qui, parmi toutes les vicissitudes de la vie, survit à tout, se mêle à tout, marque de son empreinte nos sentiments et nos idées, nos chagrins et nos joies ; c’est notre caractère. Nous ne souffrons pas seulement à cause de notre cœur ; nous souffrons aussi et surtout à cause de notre caractère. Nous ne ressentons pas, grâce à lui, les chagrins de la même façon. Certaines natures sont faites pour ne ressentir que des désespoirs. Quand un malheur, même léger, les atteint, elles s’y plongent avec amertume et rien ne les en détourne. C’est un chagrin fixe, comme il y a une idée fixe. Jean-Baptiste Morel était une de ces natures. Mais, heureusement, il savait modifier ce caractère quelque peu farouche par une docilité d’enfant à se laisser ouvrir à la conviction. On lui faisait assez facilement une raison.

Marguerite se fit audacieuse.

Elle mit dans la réponse aux observations de son père l’énergie de ceux qui ne parlent pas plus souvent qu’à leur tour, qui ont réfléchi longuement et qui se sentent forts de la défense d’une cause qu’ils croient bonne.

Elle déclara carrément à son père qu’en contrariant cet amour qu’elle venait de lui avouer, en cherchant à lui en imposer un autre, il était loin d’assurer son bonheur et la survivance de sa terre. Et elle aborda en toute franchise, crânement, le sujet principal de ce litige familial, sujet auquel son père avait à peine osé faire allusion mais qu’elle avait deviné parmi toutes ses paroles :