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LE « MEMBRE »

premier ministre ; moi aussi, je me plais à réciter sous le tegme d’un orme… moi aussi, enfin, encore une fois, j’adore ces voyages à la campagne. Il est malheureux cependant que l’on n’ait encore trouvé pour réaliser ces prodiges que devraient être les voyages que l’emploi du bateau à vapeur et du chemin de fer, c’est-à-dire, des choses qui vous bousculent et vous salissent. Je regrette, pour ma part, le bon vieux temps des berlines et « l’espoir d’arriver tard dans un sauvage lieu » comme a dit un de mes auteurs.

— Mais vous avez oublié l’automobile, monsieur le Premier, rectifie le ministre des Travaux Publics… et je dois vous dire que vous en avez un superbe…

— Peste soit de l’auto !… Alors c’est la folie de la vitesse qui vous gagne, qui vous empêche de voir le paysage autrement que dans un tourbillon, à travers la poussière, les lunettes et les voiles, et le halètement de la course, et le soufflet du vent. Et cela en vérité, n’est pas le plaisir !…

Il se fit un instant de silence, comme de recueillement, dans le convoi. Tous les ministres regardaient maintenant à travers les portières défiler la campagne comme sur un film de « scope ».

Le soleil est haut maintenant et ses rayons rendent transparente la buée qui rase le sol. Ici, la plaine est brune, découpée en rectangles et la buée traîne aux creux des sillons où un récent orage a fait des flaques d’eau. Là, des grains murs balancent leur houle d’or. Au loin, le fleuve que l’on aperçoit semble de l’argent mat… Le convoi traverse en coup de vent une petite rivière dans laquelle se reflètent le balai ri-