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Puyjalon

ne vient pas seulement de ses airs à demi tourmentés mais de l’absence de toute humanité, ce qui lui donne cette grandeur qu’il n’a cessé d’avoir depuis l’instant où les choses de la terre se sont mises en ordre sous la loi du Seigneur… Le soleil a vite disparu et la nuit aussitôt est descendue. Et quand les ténèbres épaisses pesèrent de tout leur poids sur la vaste étendue, le rêveur solitaire de l’Île-aux-Perroquets, qui sombrait dans le noir, cherchait encore à deviner au loin l’étendue amère. Jamais l’archipel de Mingan ne lui avait parue si déserte. Il était comme le centre d’un monde. Autour de lui maintenant, il n’y avait que la mer et son île qui le portait comme une barque ; et le ciel où chuintait le vent du large.

Tout à coup, les ténèbres deviennent plus opaques. Il y a comme un grand trou noir mais que la lumière du phare perce peu à peu. La lumière s’élargit, remplit une grande partie du fleuve, puis tout le golfe, puis le littoral, toute la côte et, aux yeux du solitaire, qui écoutait bruire la nuit, un monde merveilleux surgit de tous les points de la côte et du fleuve.

Les eaux du fleuve et du Golfe étaient subitement devenues les plus poissonneuses de toute l’Amérique. Dans toute l’étendue de cette mer pullulaient la morue prolifique, vorace et qui mord comme des grenouilles. L’eau s’étendait sur de vastes bancs qui, de la côte jusqu’à plusieurs milles au large, formait comme une terrasse sous-marine où ce poisson allait frayer. Le fleuve était tout constellé de barges de pêche, et on prenait dans une seule levée de filets des milliers de poissons. Puis, ce furent d’autres bancs, des bancs de ha-