cœur naïf et tendre et les soupirs et les flatteries d’un infâme séducteur ! J’écraserai ce ver méprisable qui veut ronger la tige délicate de ce beau lys et souiller sa blanche corolle. Non, non, cette fleur qui compte deux matins à peine ne sera pas aussitôt fanée qu’éclose. »
Tout cela, cher lecteur, revient à dire : Je veux
me battre avec mon ami !
Oh ! si la blessure qui rongeait le cœur de Tatiana
avait été connue ! Si Tatiana elle-même avait pu
savoir que demain Lensky et Eugène se disputeraient
la tombe, peut-être son amour lui eût-il donné le
pouvoir de réunir les deux amis. Mais personne
encore ne soupçonnait cette passion : Tatiana dépérissait
en silence, Onéguine se taisait sur toutes
choses ; seule, la bonne aurait pu parler, mais on
sait déjà que la perspicacité n’était pas une de ses
vertus.
Toute la soirée, Lensky fut extrêmement distrait ; tantôt il gardait un morne silence, tantôt il se livrait à une folle gaieté. Mais l’enfant chéri de la Muse n’est-il pas toujours ainsi ?… Il fronçait le sourcil, se mettait au piano, en tirait quelques accords, puis,