Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/164

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— Mais croyez-vous, amis, qu’il soit plus doux encore de lui préparer une tombe silencieuse, de viser lentement son front pâle à une distance raisonnable, et enfin de l’envoyer rejoindre ses aïeux ?


Eh bien ! si, pour un regard malin ou une réponse insolente, ou une autre niaiserie provoquée par le vin, la balle de votre pistolet étendait à vos pieds votre jeune ami, — quand même il vous aurait appelé en duel le premier, dans un moment de colère… Dites-moi, quel sentiment s’emparerait de votre âme, lorsque vous le verriez à terre, sans mouvement, la mort sur le front, les membres glacés et roides, sourd à votre appel désespéré ?…


Déchiré par de cuisants remords, le pistolet serré dans sa main crispée, Eugène regarde Lensky. « Eh bien ! quoi ? » dit le voisin ; « il est mort ! »

Il est mort ! ce mot affreux accable Onéguine ! Il s’éloigne en silence et appelle ses gens. Zaretsky pose avec précaution dans le traîneau, le cadavre glacé, et transporte à la maison ce lamentable trésor. Les chevaux, sentant la mort, hennissent, se cabrent, couvrent le mors d’une blanche écume et partent avec la rapidité d’une flèche.