Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/166

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Ou bien, qui sait ? peut-être ses jours auraient-ils coulé dans la tranquillité et la monotonie d’une existence banale ; peut-être, la jeunesse une fois passée, l’ardeur de son âme se serait-elle éteinte. Il aurait dit adieu à la Poésie, il se serait marié. Heureux alors et trompé par sa femme, bien couvert d’une robe de chambre ouatée, il eût pris la vie par son côté réel et pratique. Mangeant bien, buvant mieux encore, il eût attendu la goutte vers quarante ans, l’embonpoint ensuite, et puis l’ennui, l’affaiblissement et enfin la mort, dans son lit, au milieu de ses enfants, de femmes en pleurs et de médecins.


Mais ni l’une ni l’autre de ces hypothèses n’a pu se réaliser. — Hélas ! le jeune amant, le poète inspiré, le rêveur solitaire est tombé, frappé par une main amie !…

À gauche du village où il vécut, il est un tertre vert, ombragé de deux sapins qui ont grandi en entrelaçant leurs branches et leurs racines. Là coule un ruisseau limpide, près duquel le laboureur aime à se reposer ; les moissonneurs viennent plonger dans ses ondes leurs cruches sonores ; là, sous l’ombre épaisse, on a posé le marbre d’un tombeau.